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QUATRE VISAGES DE NON-VIOLENTS
Des origines et des parcours bien différents. Mais un
fil conducteur, la recherche obstinée de ce qui bâtit la paix
Simone Weil : une mystique engagée
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« Elle vivait la distance désespérante
entre 'savoir' et 'savoir de toute son âme'. Sa vie n'a pas eu d'autre but que
d'abolir cette distance ». C'est en ces termes que Gustave Thibon,
à qui la Française
Simone Weil a confié tous ses manuscrits,
résume la vie de cette philosophe, écrivain et activiste – une femme
exceptionnelle et mystique : « Qu'est-ce que Dieu ? C'est
l'infiniment petit... le grain de sénévé, la perle dans le
champ, le levain de la pâte, le sel de la nourriture ». Dans la vie
d'un peuple comme dans la vie d'une âme, écrit-elle, « il
s'agit de mettre cet infiniment petit au centre ».
Née en 1909 dans une famille juive et libre-penseur – son frère
André sera un proche collaborateur d'Albert Einstein - Simone Weil est
profondément marquée par la quête de la justice.
Élève du philosophe Alain, elle obtient très jeune
l'agrégation en philosophie puis elle enseigne dans plusieurs lycées.
Mais très vite, cette intellectuelle de cur veut confronter ses
idées à la réalité de la vie. Elle quitte l'enseignement
et va travailler dans plusieurs usines, comme ouvrière. Simone Weil est une
femme passionnée : elle rejoint les anarcho-syndicalistes sur le front
de la guerre civile d'Espagne. Quelques jours après son arrivée,
elle se blesse en marchant sur une bassine d'huile bouillante.
Elle doit repartir
en France mais elle en a vu assez pour comprendre que la logique de la guerre est
telle qu'elle occulte les raisons mêmes qui l'ont provoquée, si
noble qu'en soit la cause.
L'année d'après, elle se rend à Assise. C'est là
qu'elle vit une conversion au christianisme à la suite de saint
François. Elle refusera cependant toute sa vie de faire partie d'une
église particulière pour conserver sa liberté de penser.
La Deuxième Guerre mondiale marque la fin de sa vie. Simone Weil tente de
constituer un corps d'infirmières dans l'armée française -
pour qu'à la force brute de l'armée puisse faire face des valeurs de
solidarité et d'entraide. Après la victoire allemande, elle est
forcée de quitter la France pour mettre ses parents à l'abri du
nazisme, aux États-Unis. Puis elle revient en Angleterre pour poursuivre la
lutte. Un an plus tard, elle meurt à l'âge de 34 ans,
emportée par la tuberculose. Elle laisse derrière elle une
série d'ouvrages de référence dans plusieurs domaines, dont
de nombreuses réflexions sur la non-violence.
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Grégoire Ahongbonon : l'homme qui libère les fous
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De son métier, il est réparateur de pneus. Mais
l'essentiel de son temps, Grégoire Ahongbonon le passe à chercher
ceux que l'on dit fous et qui sont condamnés à vivre
enchaînés à un arbre, loin de tous. Il les libère puis
les emmène à l'Association Saint-Camille de Lellis, en Côte
d'Ivoire.
Grégoire Ahongbonon a frôlé lui-même
la maladie mentale. « Tout marchait pour moi, et subitement, j'ai tout
perdu, raconte ce Béninois d'origine. J'ai tellement perdu que j'ai failli
me suicider. Eh bien ! quand j'avais tout perdu, qu'est-ce que j'aurais
voulu... ? J'aurais voulu trouver des gens sur mon chemin pour
m'aider. » Il découvre que la maladie mentale ne se soigne pas
seulement à l'aide de médicaments, mais « avec un
cur dans la main ». Ceux-là qu'on appelle les fous,
les possédés, souffrent de schizophrénie, de
maniaco-dépression ou d'autres maladies mentales plus ou moins
sévères. Devant leurs comportements imprévisibles,
agressifs ou menaçants, les villageois n'ont parfois d'autres choix que de
les isoler. Leur sort est alors réglé : une chaîne,
un arbre et une ration de nourriture, quand on ne les oublie pas
complètement.
Selon Grégoire Ahongbonon, ils sont des milliers ainsi,
encastrés dans des morceaux de bois. La situation existe un peu partout en
Afrique. Il cherche à leur rendre un peu de dignité, le minimum de
ressources et d'attention nécessaire pour les aider à venir à
bout de leurs maux.
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Théodore Monod : un cri dans le désert
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« Tout ce qui monte converge. À partir d'une certaine
élévation de pensée et de foi, les hommes se retrouvent
côte à côte (sur) une montagne unique que nous gravissons les
uns les autres par des sentiers différents, avec l'espoir un jour de nous
retrouver au sommet dans la lumière, au dessus des nuages. »,
écrit Théodore Monod.
Descendant d'une illustre lignée de pasteurs
français, il choisit plutôt de répondre, à 20 ans,
à l'appel de la science. Océanographe, botaniste, zoologiste,
géologue, explorateur, il arpente pendant plus de 75 ans le désert
du Sahara : à pied ou en chameau, il découvre des
régions impénétrables, répertoriant plus de 20 000
spécimens de toutes sortes. Un travail scientifique hors du commun.
Dans ses voyages pourtant dangereux, Théodore Monod ne transporte jamais
d'arme : « La violence constitue le principal faux dieu de
l'homme », rappelle ce chercheur qui a fondé dans sa jeunesse
le groupe des « Veilleurs », un mouvement oecuménique
pour réussir l'union de tous les chrétiens en devenant
« l'âme priante et active de l'Église ».
Théodore Monod milite dans un nombre considérable d'associations -
la défense des droits des hommes, des animaux, des logements sociaux, des
immigrants, etc. Pendant des dizaines d'années, il jeûne à
date fixe, avec quelques convaincus, devant les réacteurs de Taverny, en
France, pour protester contre le nucléaire et rappeler le drame d'Hiroshima.
« Je prétends toujours que le peu que l'on peut faire, le
très peu qu'on peut faire, il faut le faire, pour l'honneur mais sans
illusion », dit ce chercheur d'absolu mort en l'an 2000 à
l'âge de 98 ans.
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Lucille Teasdale : d'amour et de soins
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Le 1er août 1996, Lucille Teasdale meurt du sida. Les
Canadiens découvrent la vie extraordinaire de leur compatriote qui a
fondé un hôpital en Ouganda avec l'homme qu'elle aimait, le
chirurgien italien Piero Corti. Pendant plus de 35 ans, cette Montréalaise,
une des premières femmes chirurgiennes du Québec, uvre
à St. Mary's-Lacor,
un dispensaire abandonné que le couple transforme
de fond en comble. Travaillant sans cesse, ils soignent chaque année des
milliers de patients, et forment progressivement le personnel africain.
En 1979, la Tanzanie envahit l'Ouganda. De terribles affrontements interethniques
ensanglantent le pays. L'hôpital est privé d'électricité
pendant cinq ans. Menacé par les factions armées, le personnel
vit dans l'angoisse permanente. Mais l'hôpital continue de fonctionner
grâce à l'entêtement de ses fondateurs, qui soignent les
blessés de guerre, quel que soit leur camp. C'est en opérant des
soldats que Lucille Teasdale contracte le sida. Avec toutes les précautions
nécessaires, elle continuera d'opérer jusqu'aux limites de ses
forces, puis elle s'occupera simplement des
malades. ©EQm
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